Non ma vie n’est pas un problème à traiter !
Ce n’est pas une serrure à ouvrir. Ce n’est pas un rebus. Ni un casse tête. Ni une panne.
Non, ma vie n’est pas comparable à un objet dont les accidents mécaniques me mettraient en difficulté. Employer ce mot problème à tort et à travers serait réduire notre vie à son aspect matériel.
Poser cette étiquette sur nos expériences humaines nous donnerait l’illusion d’un bonheur proportionnel au bon fonctionnement de la logistique et à l’évitement des soucis, deuils, frustrations. Que nenni !
Vivre c’est être au milieu du désordre et au cœur de la tempête avec menace de la rupture du mât à tout moment.
Grandir c’est non pas augmenter l’ordre mais davantage accueillir le désordre.
Etre en bonne santé, c’est être à l’écoute des signes avant qu’ils ne deviennent symptômes.
A l’école, nous devions régler des problèmes de robinet ou de géométrie, trouver des solutions à des équations algébriques, éviter les pièges de l’orthographe. Dans la vie c’est différent : il n’y a ni cahier du maître, ni attribution de notes, ni de leçons à apprendre, ni de révisions après le dîner, ni surtout de mode d’emploi.
Je refuse l’idée d’un mode d’emploi de ma vie susceptible de m’éviter les problèmes à régler, mais aussi de me priver de l’aventure même de ma vie, des émotions et des surprises.
Il m’importe de distinguer les différents fils qui tissent mon histoire :
une expérience à vivre / ce qui grippe cette expérience : les difficultés du quotidien / et ce qui en empêche la fluidité : les problèmes à régler.
Non, un deuil n’est pas un problème mais l’épreuve de la perte.
La fatigue n’est pas un problème mais une sensation à identifier comme telle sans ni la nier, ni la dramatiser.
Une peine de cœur n’est pas un problème mais la douleur d’un chagrin. La maladie, comme le chômage ou le veuvage, sont des expériences d’injustice, de peur de l’avenir ou de solitude avant d’être des dossiers à traiter. Le stress est davantage une tension qu’un souci. L’inhibition, plus qu’un problème, serait le malaise de suspension de la pensée, de l’émotion ou de l’action. La douleur, avant d’être un symptôme à soigner, est rupture d’homéostasie. La stérilité, le handicap, l’échec à un concours, la dépendance au jeu … relèvent de la même logique, exigent la même faculté d’adaptation, le même courage.
Quelques exemples de problèmes … à régler : une fuite d’eau . Une crevaison. Un dysfonctionnement de l’ordinateur. La présence de souris ou de cafards. Une expulsion de son logement. L’arrivée au métro sans ticket, sans guichet, sans délai. L’oubli de son passeport en arrivant à l’aéroport; Un seul trousseau de clés pour deux avec des horaires différents; Absence de vélib au départ ou absence de place à l’arrivée…Avec des solutions à trouver … !
Alors que ce n’est pas un problème d’être en deuil. En conflit. En désaccord. En difficulté. En colère. En panique; D’avoir de mauvaises analyses médicales. De prendre sa retraite. De lancer une procédure de divorce. Même si ces expériences peuvent être associées à des problèmes.
En fait, peu de situations relèvent d’un problème à traiter. Nombreuses celles qui sont source de stress, d’inconfort, de désordre, de larmes, de sécrétions d’hormones. En soi, l’abandon n’est pas un problème, la trahison non plus, l’humiliation pas davantage.
Qu’est-ce qui arrête le geste et le mouvement de la vie ?
Exemples de difficultés qui ne sont pas des problèmes : Un écart dans les besoins de chaleur à la maison, de types d’alimentation, de rythmes de vie. Une différence de salaires dans le couple. La garde des enfants. Le prénom d’un bébé à naître. Le choix conjugal ou familial d’une destination de vacances avec des goûts très différents voire opposés. Absence de comportements visant la fluidité des relations sociales (dire merci, bonjour, s’il te plaît, pardon …). Les repas familiaux pour les fêtes de fin d’année. Les conséquences de la perte d’un emploi sur la sécurité de toute la famille. La cohabitation des enfants dans un couple recomposé ou la présence d’un enfant pour le partenaire de son parent. L’impatience face au silence de quelqu’un déjà sollicité à plusieurs reprises. Ces situations supposent un conflit à traiter, un motif de désaccord à identifier, une raison de rompre ou de se séparer, un compromis à trouver, une médiation à solliciter … ! Ou bien le maintien de l’inconfort.
Mais alors, le coup de foudre, l’annonce d’une grossesse, un héritage, la surprise d’une bonne nouvelle, le succès d’une entreprise ou le gain d’un procès ?
Voilà des exemples d’expériences assorties d’émotions, de partage ou encore de stress tels qu’accueil de la nouveauté, exigence d’être à la hauteur de la tâche, réputation à entretenir, travail à fournir.
Ma vie est une succession de telles expériences, agréables ou douloureuses, justes ou injustes, banales ou extraordinaires, intimes, publiques, heureuses, malheureuses ou tragiques …Celles-ci sont associées à des émotions, des crises, des traversées du désert, des bulles hors du temps (chocs amoureux, naissances, traumatismes …), coups du destin ou cadeaux du ciel, résignation ou résilience …
Non, le but d’un « travail sur soi » n’est pas de comprendre ses problèmes, pour les régler ou de les faire disparaître. Pour moi, une démarche de thérapie devrait me permettre d’accueillir ce que la vie m’offre plutôt que de vouloir la contrôler, m’engage à me réconcilier avec moi-même quels que soient les problèmes, à me faire confiance et à retrouver mon énergie.
Me donner priorité …
C’est faire connaissance, me séparer, aimer, oublier, découvrir, souffrir, m’émerveiller, apprendre …
Or nous voudrions davantage « trouver des solutions » qu’accueillir le présent à vivre.
C’est le piège de se vouloir compétent plutôt que gourmand ! Parfait plutôt qu’aventurier ! Efficace plutôt que vivant !
Par Aliette de Panafieu – Association l’Affaire d’une vie –